Après 5 ans de recherche, David Graeber publie en 2018 « Bullshit jobs ». Ces jobs sont « une forme d’emploi rémunéré qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat, de faire croire qu’il n’en est rien ».

Parmi ces bullshit jobs, on trouve les « porte-flingue ». Les salariés qui les occupent les méprisent à double titre :

  1. Parce que leur job leur parait dépourvu de toute valeur sociale positive ;
  2. Parce qu’ils le considèrent comme intrinsèquement manipulateur et agressif.

Nous avons voulu vous partager le témoignage de Tom, issu du livre de David Graeber, qui questionne fondamentalement les métiers du marketing et de la communication et qui nous a interpellé. Combien de travailleurs de ce secteur pensent et vivent la même chose ?

Tom travaille dans la publicité et témoigne

De la fiction à la publicité, il n’y qu’un pas.

« Je bosse pour une très grosse boîte américaine de postproduction basée à Londres. Dans mon métier, il y a certains aspects que j’ai toujours trouvés agréables et épanouissants. Par exemple, les studios de cinéma me demandent de faire voler des voitures dans les airs, de pulvériser des immeubles ou d’imaginer des dinosaures attaquant des vaisseaux extraterrestres. C’est chouette et ça divertit le public.

Mais depuis peu, nos principaux clients sont devenus des agences de comm’. Elles nous commandent des pubs pour des produits de marques bien connus : des shampoings, des dentifrices, des crèmes hydratantes, des lessives en poudre, etc…»

Effets spéciaux, retouches d’images… tout est permis 😁

« Nous, on utilise des effets spéciaux pour faire croire que ces produits marchent vraiment […]. On retouche les images pour éliminer les imperfections de la peau, on fait ressortir les dents et on les blanchit, on efface les pointes des cheveux abîmées, on ajoute des reflets éclatants dans les pubs pour les shampoings… Sans oublier les outils déformants pour faire paraitre plus mince. Ces techniques sont utilisées dans tous les spots télévisés, mais aussi dans la plupart des fictions télé et de nombreux films. Autant sur les actrices que sur les acteurs.

Pour résumer, on essaie de donner aux spectateurs qui regardent ces programmes le sentiment qu’ils ne sont pas à la hauteur, et ensuite, pendant les pages de pub, on exagère l’efficacité des « solutions » qu’on prétend leur livrer.

Mon salaire pour faire ça c’est 100 000 livres par an » (soit plus de 100 000€ 😁)

Pourquoi Tom estime avoir un bullshit job ?

« Pour moi, un boulot a une valeur dès lors qu’il satisfait un besoin préexistant, ou qu’il crée un produit ou un service auquel les gens n’avaient pas pensé et qui, d’une manière ou d’une autre, va améliorer ou embellir leur vie. Je crois que ça fait longtemps que la majorité des jobs ne font plus ça. Dans la plupart des industries, l’offre a largement dépassé la demande. Maintenant, c’est la demande qu’on fabrique.

Mon travail c’est ça : fabriquer de la demande en créant un manque et, parallèlement, survendre l’utilité des produits proposés pour combler ce manque.

Au fond, c’est plus ou moins le boulot de toute personne qui travaille dans ou pour l’industrie de la pub. Dans la mesure où, désormais, la principale méthode pour vendre un produit est d’embobiner les gens afin qu’ils croient en avoir besoin, vous aurez du mal à soutenir que ce ne sont pas des jobs à la con. »

La pub, intrinsèquement manipulatoire.

David Graeber explique que « ce n’est pas parce que Tom est opposé à la société de consommation qu’il est persuadé d’avoir un bullshit job. C’est parce que son travail d’embellissement comme il l’appelle lui parait fondamentalement oppressif et manipulateur ».

Le dinosaure du cinéma n’existe pas et nous le savons. Améliorer l’apparence des célébrités en revanche agit sur la représentation inconsciente des spectateurs sur ce que devrait être la réalité quotidienne. « Alors que les leurres honnêtes apportent de la joie, les leurres malhonnêtes cherchent intentionnellement à convaincre les gens que leur monde est sordide et misérable ».

Mal de tout un secteur ?

Les professionnels des secteurs du marketing et de la communication s’interrogent-ils sur la nature des produits et services dont ils font la promotion ? Sur la manière dont ils le font ? Sur les impacts sociétaux de tels pratiques ? Pensent-ils avoir des bullshit jobs ?

Pourrions-nous mieux réglementer ce secteur pour informer des retouches d’image par exemple et expliquer que les yaourts la laitière bah… Ils ne sont pas fait par la laitière de manière traditionnelle 🙃 Évidemment nous nous en doutons, mais il est fort à parier que nous ne mesurons pas l’écart entre cette représentation et la réalité. Achèterions-nous ces produits si c’était le cas ? Est-il normal de pouvoir véhiculer des images et des récits aussi loin de la réalité ?

Aux origines de publicité, la « fabrique du consentement »

Bernays aux manettes

Aux origines de la publicité que nous connaissons aujourd’hui il y a un homme : Edward Bernays. Neveu de Sigmund Freud, il est l’un des pères fondateurs des « relations publiques ». Auteur de « Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie (1) » (plutôt explicite nan ?), il a mis au point les techniques publicitaires modernes.

Son livre écrit en 1928 explique sans détour les grands principes de manipulation mentale de masse ou « fabrique du consentement ».  Comment imposer une nouvelle marque de lessive ? Mais aussi comment faire élire un président ? Dans nos démocraties de marché ces questions de confondent. Bernays assume pleinement que puisque les choix des masses sont déterminants, cette manipulation est nécessaire et ceux qui en maîtrisent les techniques détiennent le pouvoir.

« Un effort immense s’exerce donc en permanence pour capter les esprits en faveur d’une politique, d’un produit ou d’une idée »

Du bacon et des clopes

Bernays est notamment à l’origine de campagnes commerciales pour l’industrie agroalimentaire en faveur du bacon. Il deviendra le traditionnel petit déjeuner américain. Pour Lucky Strike, Bernays incitera habilement les femmes à fumer comme des hommes au début du 20ème siècle. Balaise Bernays ! Flippant aussi… Pas étonnant que certains deviennent paranoïaques vous ne croyez pas ?

Vous questionnez votre avenir dans la communication ?

Remettez du sens dans votre job avec le PEPP’s !
Construisez votre Projet d’Épanouissement Professionnel et Personnel qui a du sens.

Découvrir le PEPP's