Le burn-out est-il la maladie de personnes « inadaptées » ou « faibles » ? Ou bien le symptôme d’un travail malade ?
L’entreprise évite de remettre en question son organisation et sa façon de considérer les humains qui la composent. Quant à l’assurance maladie, elle reconnaît plus volontiers les atteintes psychiques dans les métiers en lien avec le public car c’est le rapport avec la clientèle qui est mis en cause, et non l’organisation du travail (1). Pourtant la moitié des cadres interrogés par Cadremploi en 2019 affirment avoir déjà souffert d’un burn-out (2).
Pour mieux comprendre ce qui se joue dans le burn-out, nous nous sommes entretenus avec Catherine Frade, psychologue du travail et spécialiste du Management des Organisations et des Systèmes Complexes qui aborde le sujet sous l’angle de l’humain et du système et qui nous a inspiré cet article.
Le burn-out : une question de limites
Pour anticiper le burn-out et l’éviter, nous pouvons apprendre à définir et reconnaître nos limites, à les exprimer et les faire respecter.
Identifier nos limites
Nous mettre au défi et dépasser des challenges nous permet de découvrir qui nous sommes, pourvu de ne pas se laisser broyer par le système et poser ses limites à temps pour ne pas tomber malade.
Nous ne sommes pas des machines ! Notre corps a ses limites tout comme notre conscience. Et chaque être a un fonctionnement subtil qui lui est propre.
Pour reconnaître nos limites, il est essentiel d’identifier ce qui nous rend heureux et ce qui nous empêche de l’être. Nous serons ainsi capables d’identifier dans notre travail les choses qui alimentent notre joie ou au contraire celles qui provoquent de la souffrance. Ceci implique d’être honnête avec soi-même et de savoir écouter son corps sous peine qu’il ne nous arrête de force.
La CNV (Communication non violente) est un bon outil pour développer notre capacité à reconnaître nos émotions, à prendre conscience de ce qu’elles révèlent, et ainsi mieux les vivre. La maîtrise de soi n’est pas la déconnexion mentale du corps et des émotions comme nous avions pu l’apprendre mais bien notre capacité à les accueillir, à les reconnaître et à les partager.
La meilleure parade au burn-out est donc de maintenir nos corps physiologiques, psychiques et émotionnels en équilibre.
La limite du temps de travail
S’auto-accélérer pour atteindre des objectifs irréalistes, c’est nier et dépasser nos limites physiques et psychiques. Peut-être confondons-nous « dépasser ses limites » et « se dépasser » ? Le dépassement de soi, c’est repousser ses limites pour réaliser des choses qui semblaient inatteignables et qui nous procurent de la joie ! Attention donc à ne pas se brûler les ailes en croyant se dépasser : « la pression » et la « charge de travail trop importante » sont en tête des causes de burn-out citées par plus de la moitié des cadres interrogés par Cadremploi (2).
La limite du conflit de valeurs
Chacun de nous avons des valeurs qui sont les ressorts de nos motivations et qui guident nos choix. Les employeurs s’attachent de plus en plus à définir leurs valeurs pour attirer les talents, et on les comprend quand on sait que 76% des français désirent que leur futur job soit en phase avec leurs valeurs personnelles (3). Mais les valeurs annoncées sont-elles celles pratiquées réellement ? Les conflits de valeurs peuvent être très violents jusqu’à mener au burn-out.
Par exemple, si pour vous l’honnêteté est une valeur fondamentale et que vous aimez les relations authentiques et sincères, alors vous perdrez sûrement pied si vous êtes managé selon des pratiques toxiques (consignes floues, valeurs opposées, manipulation…) .
Si pour vous l’éthique et la transparence sont la base des relations de confiance et du bon travail, vous vivrez difficilement d’être instrumentalisé à votre insu ou de perdre votre travail pour avoir refusé de cautionner des injonctions paradoxales de votre supérieur hiérarchique visant à vous faire porter la responsabilité de détournements du respect de l’être humain et des lois (oui oui ça existe 😳).
Reconnaissance du « travail réel »
Avez-vous déjà eu cette sensation désagréable d’avoir été inefficace ou « improductif » alors que vous n’avez pas vu passer la journée ? Pourtant, vous n’avez pas eu l’impression de vous tourner les pouces. Mais vous n’avez pas contribué directement à la réalisation de vos objectifs listés le matin en tant qu’actions clés (et tangible). Et cela peut générer de la culpabilité, de la frustration, un manque d’estime… Alors que faire ? Peut-être devriez-vous travailler en soirée ? Quel dommage vous aviez prévu de voir vos amis et d’aller au sport cette semaine… Pas le choix !
Avant de sacrifier vos soirées, parlons de la différence fondamentale entre le « travail prescrit » et le « réel du travail ».
Travail prescrit
Le « travail prescrit » est donné par la fiche de poste, les procédures, les modes opératoires. L’organisation, les règles et les pratiques managériales permettent de contrôler ce travail. C’est toute la partie visible, mesurable, comptabilisable et formelle du travail.
Réel du travail
Le « réel du travail», c’est tout le reste. C’est le temps réellement nécessaire à la réalisation de nos tâches prescrites et qui va mobiliser nos ressources propres : notre créativité, notre réflexion, nos façons d’être, nos talents, nos savoirs, nos relations affectives… C’est ce que nous investissons dans nos tâches pour bien faire notre travail. Ce temps est nécessaire à la réalisation du travail et il est également source d’humanité et de coopération. C’est la partie informelle du travail.
Cet apport humain est mis en invisibilité par l’organisation qui s’en tient à ses procédures et ses objectifs alors qu’il représente 60 à 80% du temps de travail !
Le travail réel est la somme du travail prescrit et réel du travail.
Revaloriser le travail réel
Comme l’entreprise valorise uniquement le travail prescrit, facilement quantifiable, le salarié aura tendance à ne pas voir la valeur réelle du travail qu’il fournit (4) et il croira que le travail prescrit devrait représenter 100% de ses journées pour être performant.
Ajoutez à cela des cadences sans cesse croissantes, des délais de réalisation irréalistes et des effectifs sans cesse réduits : bon courage pour tenir le rythme !
Savoir dire STOP
Pourquoi est-il si difficile d’exprimer et de faire respecter nos limites ?
Pour répondre à cette question, il est intéressant de questionner la relation du salarié et de son employeur. Est-elle réellement équilibrée ? N’oublions pas que la relation salarié-employeur est par nature une relation de subordination (5). Bien sûr, cette relation n’est pas vécue de la même manière d’une entreprise à l’autre (heureusement !). Bien sûr, le code du travail encadre et rééquilibre cette relation.
Mais qui n’a jamais renoncer à exprimer vraiment ce qu’il pense à son supérieur hiérarchique par peur des conséquences ?…
Dans les faits, le lien de subordination et les structures hiérarchiques instaurent des relations de pouvoir et de domination qui réduisent les espaces d’expression.
De plus, sur un « marché du travail » tendu avec un fort taux de chômage, la perception plus grande du risque de ne pas retrouver aisément un emploi incite à la prudence et à la conciliation.
Et pourtant, en situation de burn-out, la solution se trouve souvent à l’extérieur de l’entreprise. Toujours d’après l’étude de Cadremploi :
- 37 % des cadres interrogés ont négocié une rupture conventionnelle,
- 22 % ont purement et simplement démissionné.
Et vous ? Qu’avez-vous choisi ?
Crédit photo : Benjamin Ranger on Unsplash
(1) Article sur le bilan présenté par l’Assurance maladie, janvier 2018
(2) Enquête Cadremploi sur le burn-out pour la Semaine de la qualité de vie au travail, juin 2019
(3) Baromètre IPSOS – BCG – CGE, Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi, janvier 2020
(4) FRADE C, Des clés pour le bien-être et l’épanouissement au travail, Soins, Elsevier-Masson (Nov 2018, 830, p.49-51)
(5) Définition du lien de subordination